06 février 2017

Un centenaire qui ébranlera le monde ?



L’année 2017 vient donc de commencer. L’année 2016 avait nettement été une année marquée par la réaction et les mauvaises nouvelles pour le camp progressiste : poursuite de la crise du capitalisme et des guerres impérialistes, élection de Donald Trump à la présidence des USA, difficultés nouvelles et aggravées pour les processus révolutionnaires en Amérique Latine, décès de Fidel Castro, le dernier grand révolutionnaire du XXème siècle qui était encore parmi nous, résultats plus que décevants des votations populaires en Suisse…1916 fut aussi une bien sombre année, illuminée seulement par les brasiers de la Première Guerre mondiale, quand les flammes des bombes jetaient un éclairage sinistre sur des carnages sans nom. Pourtant, c’est de ces ténèbres les plus absolues qu’allait jaillir une lumière éclatante. En février 1917, une révolution démocratique bourgeoise renversait la monarchie pluriséculaire des tsars. Et le 7 novembre (ou 25 octobre selon l’ancien calendrier), le nouveau régime bourgeois, « démocratique », mais tout aussi réactionnaire que l’ancien, était balayé à son tour par une révolution prolétarienne, dirigée par le Parti bolchevik sous la conduite de Lénine. C’était la première révolution socialiste victorieuse de l’histoire, le début d’une ère nouvelle. Les nombreuses péripéties et méandres des décennies qui suivirent, la contre-révolution qui s’imposa finalement en 1991, n’enlèvent rien à la grandeur de ce que fut la Grande révolution socialiste d’octobre, ni aux réalisations incontestables du socialisme.

C’est ce glorieux centenaire que nous allons célébrer cette année. Le meilleur hommage que nous pourrions rendre à la Révolution d’octobre serait de suivre ses pas, de nous engager à notre tour dans la voie de la rupture avec l’oppression capitaliste, en marchant vers l’avenir, vers une société nouvelle, socialiste. 2017 pourrait-elle être une année qui apportera un véritable changement ? Ce que nous en avons vu jusque là – entre l’inauguration de Donald Trump et le spectacle pitoyable des primaires du P“S“ français – ne va pas vraiment dans ce sens. Et pourtant, il ne faut en aucun cas désespérer. Ne serait-ce que parce que les idées communistes n’ont jamais été aussi nécessaires. Une récente étude de l’ONG Oxfam – étude tellement sérieuse et incontestable que même la RTS, par exemple, a relayé l’information – révèle qu’en ce début d’année 2017 les inégalités abyssales qui caractérisent notre monde capitaliste décadent se sont encore creusées au-delà du concevable. Ainsi, les 8 personnes les plus riches du monde (OUI, seulement 8 !) possèdent autant que les quelques 3,5 milliards des habitants les plus pauvres de notre planète. Qu’un vieux film soviétique de science-fiction par exemple eût pris de tels chiffres pour scénario, la presse bourgeoise se serait empressée de le qualifier de « grotesque ». Mais aujourd’hui la réalité dépasse la science-fiction…N’oublions pas que dans le même temps des centaines de millions de personnes meurent de faim.

Un tel monde, qui confine à l’absurde, devient proprement intolérable et a besoin d’urgence d’un changement radical. Ainsi que l’avait dit Lénine : « Partout, à chaque pas, on se heurte aux problèmes que l'humanité serait à même de résoudre immédiatement. Le capitalisme l'en empêche. Il a accumulé des masses de richesses, et il a fait des hommes les esclaves de cette richesse. Il a résolu les problèmes les plus difficiles en matière de technique, et il a stoppé la réalisation de perfectionnements techniques en raison de la misère et de l'ignorance de millions d'habitants, en raison de l'avarice stupide d'une poignée de millionnaires ». Plus que jamais, le socialisme est non seulement possible, mais absolument nécessaire, ne serait-ce que pour assurer la survie de notre espèce que l’avarice stupide des maîtres du capital conduit à une extinction prochaine en rendant à terme notre planète pour nous inhabitable au nom du profit immédiat. Les positions climato-sceptiques du nouveau gouvernement étatsunien ont pour le moins le mérite de rappeler l’ampleur du problème, et la totale inaptitude de la bourgeoisie d’y faire face.


Soyons donc fiers de lever haut l’étendard rouge qui flotta sur la Révolution d’octobre, car il représente l’espoir et la seule voie vers un avenir meilleur, célébrons dignement le centenaire de la Grande révolution, et un jour notre lutte portera elle aussi ses fruits, et l’aube d’une ère nouvelle, celle du socialisme, brillera aussi sur la Suisse.

RIE III : non à un cadeau fiscal scandaleux au grand capital !




Un couplet hélas trop souvent oublié de l’Internationale – mais qu’il faudrait chanter plus souvent – dit :

« L'état comprime la loi triche 

L'impôt saigne le malheureux 

Nul devoir ne s'impose aux riches 

Le droit du pauvre est un mot creux 

C'est t'assez languir en tutelle 

L'égalité veut d'autres lois 

Pas de droits sans devoirs dit-elle

Egaux pas de devoirs sans droit »

Ce couplet, il faudrait en effet le chanter plus souvent, tant il répond de façon criante à des enjeux brûlants d’actualité. Il est notamment impossible de ne pas l’avoir en tête quand on pense à la troisième réforme de l’imposition des entreprises, dite RIE III, sur laquelle nous voterons ce 12 février. Pour la droite et le patronat, il s’agit de la « mère de toutes les batailles ». Ils ont mis les grands moyens pour ce qu’il convient d’appeler un matraquage en bonne et due forme. De dépliants tout-ménage à répétition, aux affiches omniprésentes, en passant par les annonces presse et vidéos youtube, pour un message simple (simpliste) : le peuple DOIT voter la RIE III, « there is no alternative », la RIE III ou le chaos, l’apocalypse, les cartes de rationnement, la famine, la grande peste…M. le conseiller d’Etat Dal Busco s’est même senti autorisé à faire la promotion de la RIE III dans un courrier officiel envoyé à tous les contribuables. Pourtant, nous sommes en démocratie, du moins à ce qu’il paraît, et normalement le peuple souverain a non seulement le droit, mais aussi le devoir de juger par lui-même, en connaissance de cause, des décisions qui sont de sa compétence, et devrait, logiquement, fort peu goûter le chantage ou qu’on lui ordonne quoi voter. Or, il y a de quoi y regarder de plus près…

4,6 milliards de pertes fiscales annoncées, au moins !

Pourquoi la RIE III ? La raison officielle est que jusqu’à ce jour la Suisse a pratiqué un double système d’imposition pour les entreprises. Les entreprises Suisses payaient comme il se doit le taux normal, par exemple 22,5% d’impôt sur le bénéfice à Genève. Mais pour attirer des multinationales étrangères on leur offrait sur mesure un taux d’imposition préférentielle, qui pouvait être équivalent à la moitié, voire nettement moins, de ce qu’elles auraient payé normalement. Un système de passe-droit qui évoque le bon vieux temps des privilèges de la noblesse d’Ancien Régime…Certains cantons – Genève, Vaud, Bâle, Zoug – ont massivement usé et abusé de ce système. D’autres n’y ont presque pas eu recours. Mais toutes les bonnes – et les mauvaises – choses ont une fin. L’OCDE n’est plus disposée à tolérer ce qui constitue un cas patent de concurrence déloyale et exige que toutes les entreprises en Suisse soient taxées au même taux, ce qui serait la moindre des choses. Evidemment, il serait juste et légitime que ce système des privilèges scandaleux tombe. La seule question est : de quelle façon ? Le plus juste et le plus logique aurait été de simplement abolir tous les taux préférentiels, pour soumettre toutes les entreprises au taux normal. Ou du moins mettre un taux à mi chemin entre celui que payent les entreprises suisses, et celui que payent les sociétés « à statut », pour qu’au moins il n’y ait pas de pertes fiscales.

Evidemment, ce n’est pas la solution qu’a choisi la majorité de droite des chambres fédérales. La logique de la droite était : s’il faut mettre toutes les entreprises au même régime, qu’ainsi soit-il ; mais si on augmentait les taux d’imposition des multinationales, elles pourraient partir sous d’autres cieux, et on perdrait ainsi la totalité des impôts qu’elles versent ; alors, puisqu’il faut mettre tout le monde au même taux, mais de façon à ce que les sociétés à statut ne payent pas plus, c’est simple, il suffit de mettre pour tout le monde un taux bas, et d’abaisser ainsi l’impositions des entreprises suisses – qui n’en demandaient pas tant – au même niveau que les sociétés à statut. Outre le taux d’imposition en tant que tel, la RIE III prévoit moult possibilités de déductions diverses et variées, grâce auxquelles certaines multinationales payeraient encore moins qu’avant.

Sauf que tout ceci à un coût très lourd : 4,6 milliards de pertes fiscales par an à prévoir ! Dont 1,6 milliards pour la Confédération, et près de 3 milliards pour les cantons et les communes. Il s’agit de montants énormes. Un manque à gagner de recettes fiscales qu’il faudra bien compenser par de nouvelles coupes importantes dans les prestations, dans les hôpitaux, dans les écoles, dans les prestations sociales, dans les transports publics. Des coupes dont souffriront avant tout les classes populaires. Ainsi les simples travailleurs auront des transports publics plus chers et moins fréquents, des écoles délabrées, des hôpitaux encore plus saturés, des droits en moins, bref devront se serrer encore plus la ceinture, tout ça pour que quelques gros actionnaires puissent s’acheter des yachts et des jets privés supplémentaires.

Et il s’agit là d’une estimation basse. Les pertes réelles seront sans doute de beaucoup fois plus élevées. On n’a pas oublié en effet le mensonge flagrant auquel la droite avait eu recours pour faire passer la RIE II.

Rappel : le mensonge de la RIE II

Le 24 février 2008, le peuple suisse avait accepté à 20'000 voix près seulement la réforme de l’imposition des entreprises II. La droite et le Conseil fédéral ont vendu la réforme au peuple en prétendant qu’elle serait « bénéfique pour l’économie » et ne coûterait pas si cher : près de 80 millions par an d’après feu l’ancien conseiller fédéral radical Hans-Rudolph Merz. Pourtant, après que la RIE II fut passée, le Conseil fédéral fut forcé d’admettre que les pertes fiscales sont en réalité de près d’un milliard par an. Et c’est sans doute encore une estimation basse. D’après une étude de l’USS, les pertes se monteraient à plus de 2 milliards par an, sans compter près de 2 milliards de manque à gagner cumulé pour l’AVS. Saisi par un recours du Parti socialiste, le Tribunal fédéral lui-même admit que le Conseil fédéral avait sciemment menti et que ce mensonge avait certainement influencé le résultat. Le Tribunal fédéral renonça néanmoins à faire annuler la votation. Ce sont là les beautés de la démocratie bourgeoise…

La RIE II fut-elle au moins bénéfique pour l’économie. L’Administration fédérale des contributions fut forcée d’admettre que les avantages de la RIE II pour la place économique suisse « n’ont pas pu être chiffrés ». En clair, elle n’a aucune preuve que la RIE II a eu le moindre effet bénéfique. Elle s’obstine néanmoins à affirmer que : "L'économie bénéficie de l'accumulation du capital par les entreprises, ce qui mène à davantage d'investissement". Et qu’en sait-elle, puisqu’elle n’a pas pu chiffrer l’influence de la RIE II sur l’accumulation du capital des entreprises ? Il ne s’agit nullement d’une preuve, mais d’une simple récitation obtuse et idéologique au pire sens du terme du dogme néolibéral. L’USS par contre estime que la RIE II n’a pas vraiment profité aux entreprises, mais seulement à leurs actionnaires. Mais si les prétendus effets bénéfiques de la RIE II sur l’économie sont au mieux fantomatiques, les ravages qu’elle a occasionnés dans les finances publiques sont douloureusement tangibles. De quoi y réfléchir sérieusement avant même d’envisager de voter pour la RIE III.

Non pas une nécessité, mais un pur cadeau aux privilégiés

Mais sans la RIE III ce serait le chaos, nous dit-on. Allons, on devrait depuis longtemps être immunisé contre cet argument depuis que la droite en use et abuse pour tout et n’importe quoi. Rappelons tout de même que pour ce qui est de la charge fiscale globale sur les entreprises, la Suisse resterait très compétitive, même sans les privilèges fiscaux dont jouissent aujourd’hui les sociétés à statut, même sans la RIE III. Du reste la charge fiscale, n’est qu’un critère parmi d’autres pour l’implantation des entreprises. D’après le Département fédéral des finances lui-même : « L’attractivité d’un lieu d’implantation dépend de plusieurs facteurs. Les conditions cadres comme la stabilité politique, de bonnes infrastructures ou un marché du travail fonctionnel avec des travailleurs et travailleuses qualifié-e-s sont extrêmement importantes ». De tous ces critères les privilèges fiscaux n’arriveraient qu’en huitième position. Donc si la RIE III devait être balayée par le peuple, ce ne serait pas encore l’apocalypse. De fait, toutes les prévisions catastrophistes de nos adversaires sont basées sur l’hypothèse qu’en cas de refus de la RIE III, 100% des sociétés à statut s’en iraient. Il s’agit d’une hypothèse purement gratuite.

En voilà de quoi répondre aux « arguments » des partisans de la RIE III. Mais, pour prendre un peu de hauteur, le projet économique – celui de la droite – de faire marcher l’ « économie » en offrant sans cesse des privilèges supplémentaires aux plus riches, pour rester « compétitifs », ce projet est-il seulement un projet d’avenir ? Seuls les plus riches peuvent se contenter d’un Etat pauvre, parce qu’il n’ont pas besoin de ses prestations, ni des services publics. Mais les politiques d’austérité que ne manquerait pas d’occasionner la RIE III rendraient inévitablement les conditions de vies des classes populaires de notre pays encore plus difficiles. En réalité, il s’agit non pas d’une nécessité économique, mais d’une politique de classe, d’une redistribution des richesses du bas vers le haut. Il ne suffit pas apparemment au 1% des possédants de posséder la moitié de la richesse mondiale. Ils voudraient avoir aussi l’autre moitié. La continuité de ces politiques aurait pour effet de nous mener à une société qui ne serait hospitalière que pour une toute petite minorité d’ultra-riches…au prix de la précarité, de la misère pour tous les autres. C’est pourquoi nous devons résister fermement aux litanies hypocrites sur le « there is no alternative », et lutter résolument pour une autre société, qui ne tourne pas autour du profit de quelques possédants, mais soit au service du bien-être de tous ses membres. Ce n’est certes pas un combat facile, mais il est absolument et vitalement nécessaire, ne serait-ce que parce que l’autre voie, celle de l’accommodement au capitalisme, n’apportera que le malheur au plus grand nombre.

« On ne va pas dans le mur, on y est déjà »



Ce sont des mots prononcé par Paul Sautebin, agriculteur jurassien installé à la Ferrière près de la Chaux-de-Fonds, dans le documentaire Jura : enracinés à leur terre du cinéaste genevois Daniel Künzi, tourné entre 2015 et 2016.

Daniel Künzi y suit les travaux et les jours de trois familles de paysans jurassiens : Paul Sautebin et sa femme Isabelle, mais aussi Christine et Clément Willemin Gerber, et que leurs quatre filles, producteurs de lait pour le fromage Tête de moine, à Fornet, et Walter Hofstettler, ancien enfant placé qui n’a jamais connu sa mère, actuellement vieil apiculteur aux Bois, pas loin du Doubs. Tous des paysans bio, qui refusent l’agriculture industrielle, et qui essayent de maintenir leur exploitation envers et contre toutes, face au forces destructrices du marché, un soutien ambigu de la Confédération, soumis aux aléas de la politique parlementaire, à une libéralisation mortifère, à la fin des quotas laitiers, aux dégâts causés par les changements climatiques et par l’infiltration des pesticides et des insecticides dans l’environnement, aux duretés de la vie de paysan, aux maladies professionnelles enfin – comme le « poumon du paysan », maladie allergique causée par la respiration de poussières de foin ou d’écurie.

Les ravages du « libre » marché

En plus d’être un très beau film, Jura : enracinés à leur terre est aussi, pas seulement un film sur le Jura, ou un film sur le bio, surtout pas un film nostalgique du « bon vieux temps », mais avant tout un excellent film militant, qui n’est pas sans évoquer le film Demain, pour celles et ceux qui l’ont vu, et qui dénonce ce que combat également le Parti du Travail : les ravages du capitalisme, du « libre » marché.

En effet, le discours officiel se plaît à donner de la Suisse une image idyllique – comme un pays dont la production agricole repose sur de petites exploitations paysannes, sans comparaison possible avec les latifundia que l’on trouve sous d’autres latitudes par exemple, comme un pays de petits paysans attachés aux traditions, et qui cultivent des produits sains et de qualité, dans un environnement préservé. La réalité est naturellement un peu différente. Si la Suisse compte toujours une forte proportion de petites exploitations paysannes, bien plus que dans d’autres pays, des tendances à la concentration et à l’industrialisation de l’agriculture sont pourtant bien à l’œuvre. Ainsi plusieurs exploitations paysannes disparaissent chaque jour dans notre pays – près d’un millier par an, victimes du marché et de la libéralisation.

Les effets conjugués du marché et de la libéralisation ont pour effet de faire drastiquement baisser les prix auxquels les paysans peuvent vendre leurs produits. Pas les prix que payent au final les consommateurs, c’est les différents intermédiaires qui empochent les profits au passage. Ne pouvant vivre de la vente de leurs produits, les agriculteurs dépendent pour exister des payements directs, les subventions de la Confédération. Sauf que ceux-ci fluctuent au gré des aléas de la politique parlementaire, et ont tendance à être revus à la baisse, faisant vivre les paysans dans l’insécurité économique, et la menace permanente de devoir mettre la clé sous la porte. Au final, cette politique versatile de la Confédération mène à la ruine progressive des petites exploitations, et à la concentration des terres aux mains des grandes. Ainsi que l’avait dit Daniel Künzi au Courrier : «La tactique de l’Office fédéral de l’agriculture est la promotion de grosses fermes, avec une capacité de production supérieure. Mais elles ont partout les mêmes problèmes. Il n’y a qu’à voir les rapports de Jean Ziegler à l’organisation des Nations Unies pour l’agriculture (FAO): le modèle agro-industriel est en faillite. » Du reste, dans Jura : enracinés à leur terre, on voit un fonctionnaire de l’Office fédéral de l’agriculture qui commence par vendre la vision officielle idyllique de l’agriculture suisse – la Suisse est un pays de petites exploitations, pas d’agriculture industrielle, le peuple ne voudrait pas qu’il en soit autrement – avant de devoir admettre qu’une concentration progressive a lieu, avec l’appui des autorités, même si elle est plus lente qu’ailleurs.


Dans le film on peut voir un intéressant extrait d’un meeting du SAM – Swiss agro militant, contre un projet de coupe de près de 100 millions de francs dans les subventions fédérales à l’agriculture. On peut notamment entendre un orateur dire : « on a laissé le marché libre s’installer chez nous. Ce marché crée la faim dans le monde. En effet, si la Suisse achète, par exemple de la nourriture en Allemagne, l’Allemagne va acheter de la nourriture en France, la France ensuite à l’Espagne, et par effet domino c’est un enfant qui meurt de faim en Afrique ». Paul Sautebin souligne que c’est la dérégulation du marché, le marché « libre » prôné par les libéraux, qui est source de désastres. «Depuis l’Egypte antique, l’Etat est intervenu pour assurer l’alimentation des populations en régulant les marchés agricoles », observe-t-il. La mise de l’agriculture et du commerce des produits agricoles au régime du marché « libre », capitaliste, en revanche, produit fatalement la ruine de millions de paysans, des famines, des brusques montées des prix qui condamnent des gens à mourir de faim en grand nombre…pour que quelques gros propriétaires terriens et spéculateurs puissent s’enrichir au-delà du concevable. Phénomène absurde et révoltant, tant il est vrai que les famines de jadis étaient dues à une production insuffisante, à des mauvaises récoltes, alors que le marché « libre » condamne des millions de personnes à mourir de faim, lors même que la nourriture ne manque plus désormais, et qu’il serait amplement possible, facile même, de nourrir bien plus d’habitants que ceux vivant actuellement sur terre avec les moyens actuels. On s’en souvient, aux débuts du capitalisme, l’Irlande fut décimée par une famine causée par l’exportation des denrées agricoles, que les landlords anglais trouvaient plus rentables d’exporter que de vendre sur place à un peuple irlandais miséreux et dépossédé par leur régime quasi-colonial. L’occupant britannique refusa d’intervenir, et mata la révolte dans le sang, au nom de la liberté du « libre » marché. Ce phénomène ce répète depuis sans cesse, et se répétera tant que le capitalisme existera.

Critique de l’agriculture industrielle

Le film de Daniel Künzi ne dénonce pas seulement le libéralisme, mais aussi l’agriculture industrielle, l’agriculture à grande échelle, à grands renforts de machines et de produits chimiques, qui peut être plus productive à court terme, mais au détriment de la qualité, et qui finit par détruire la terre et les écosystèmes. Le thème n’est pas « passéiste », et n’est pas non plus nouveau pour des marxistes, ou du moins ne devrait pas l’être. Citons un passage célèbre du Livre I du Capital, dont généralement on ne connaît que la dernière phrase :

« Tout progrès dans l’agriculture capitaliste est non seulement un progrès  dans l’art de piller les travailleurs, mais aussi dans l’art de piller le sol ; tout progrès dans l’accroissement de sa fertilité pour un laps de temps donné est en même temps un progrès de la ruine des sources durables de cette fertilité. Plus un pays, comme par exemple les Etats-Unis d’Amérique, part de la grande industrie comme arrière-plan de son développement, et plus ce processus de destruction est rapide. Si bien que la production capitaliste ne développe la technique et la combinaison du procès de production sociale qu’en ruinant dans le même temps les sources vives de toute richesse : la terre et le travailleur ».

Il est vrai certes que cette analyse n’a pas toujours été en tête des préoccupations du mouvement communiste international. Soumise à la nécessité de moderniser rapidement son agriculture arriérée, l’URSS avait même théorisé l’industrialisation de l’agriculture, l’application de la technologie et de la chimie au travail de la terre, et la subordination de l’agriculture à l’industrie comme étant la voie de l’avenir et intrinsèquement un progrès. Il est incontestable que la modernisation de son agriculture que l’Union soviétique avait réalisée durant ses premières décennies était un progrès réel, qui avait assuré au pays un approvisionnement alimentaire sûr. Ceci dit, les pays capitalistes développés sont allés beaucoup plus loin dans la voie d’une agriculture industrielle que l’URSS ne l’avait jamais fait ni songer à faire. Et ce qu’on voit aujourd’hui suffit à douter fortement qu’industrialisation soit toujours synonyme de progrès. Il suffit de penser aux vastes latifundia américaines inondées de pesticides et produisant des OGM…

Daniel Künzi montre que c’est aussi le cas en Suisse. Les paysages de notre pays gardent certes toutes leur beauté – pas de latifundia monstrueuses, ni de serres à pertes de vue – mais si l’on y regarde de plus près, les sols sont fortement abîmés par l’abus d’engrais chimiques et de pesticides, si bien qu’on doit rajouter des intrants en grand nombre pour compenser, faute de quoi ils seraient pratiquement stériles. Sans parler de l’extinction des abeilles, provoquée par la sur-utilisation des pesticides, qui se répandent fatalement dans l’environnement, et que Walter Hofstettler constate sur l’exemple de ses propres ruches. Remarquons au passage que Cuba, qui a renoncé à l’usage des pesticides et à l’application de la chimie à l’agriculture, est un des rares endroits au monde où les abeilles se portent à merveille.

Les trois familles paysannes dont Daniel Künzi a choisi de filmer les travaux et les jours ont fait le choix d’une production à petite échelle, respectueuse de l’environnement et du sol, renonçant aux produits chimiques, et, sans se passer tout à fait de machines agricoles, faisant parfois usage de la traction animale afin de ne pas trop abîmer les sols. Une méthode qui semble donner de bons résultats. Les Willemin-Gerber ont ainsi pu revitaliser le sol de leur terrain grâce à la permaculture, en cessant d’utiliser des intrants chimiques. Une méthode qui donne aussi des rendements acceptables, ainsi que le dit Paul Sautebin «Sur moins de 10m2 de terrain, j’arrive obtenir 40 kilos de choucroute. C’est énorme. Dans le temps, cela permettait de tenir tout un hiver, avec du bon lard salé ou fumé pour les dimanches, car on ne mangeait pas de la viande tous les jours». Aussi l’avenir ne serait pas à l’agriculture industrielle, mais à la petite exploitation recourant à des méthodes respectueuse de la nature : « le sol peut donner tout ce dont on a besoin, pour autant qu’on le respecte et qu’on l’enrichit au besoin en engrais naturels pour compenser ce qu’on a prélevé ».

Dans tous les cas, Jura : enracinés à leur terre est un excellent film que nous conseillons à nos lecteurs d’aller voir.