12 avril 2016

Discours prononcé lors du débat public du 19.03.16



Chères et chers camarades,

Permettez-moi de dire tout d’abord que c’est pour moi un plaisir et un honneur de prendre la parole cette après-midi, comme c’en est un pour le Parti du Travail de co-organiser ce débat public avec nos camarades du Parti de la reconstruction socialiste de Turquie.

Plus qu’un honneur, il s’agit pour nous d’un devoir, de notre devoir de solidarité internationaliste, d’internationalisme prolétarien, qui fait partie de nos principes les plus fondamentaux, tant il est vrai que, ainsi que l’a dit Che Guevara : « Le révolutionnaire – dans son parti – moteur idéologique de la Révolution, se consume dans cette tâche ininterrompue qui ne se termine qu’avec la mort, à moins que la construction du socialisme n’aboutisse dans le monde entier. Si son ardeur révolutionnaire s’émousse une fois les tâches les plus urgentes réalisées, à l’échelle locale, et s’il oublie l’internationalisme prolétarien, la Révolution qu’il dirige cesse d’être un moteur s’enfonce dans une confortable torpeur qui est mise à profit par nos irréconciliables ennemis, les impérialistes, qui, alors, gagnent du terrain. L’internationalisme prolétarien est un devoir, mais c’est aussi une nécessité révolutionnaire. C’est ce que nous apprenons à notre peuple. » C’est en oubliant cette vérité, qu’ils n’ont jamais voulu connaître, que les partis socialistes de la Deuxième Internationale, naguère glorieux, se mirent au service de l’impérialisme de « leur » pays respectif, et finirent par totalement changer de camp.

Si je cite le Che, ce n’est pas tout à fait par hasard. Il y a quelques semaines nous avions en effet célébré les 50 ans de la Conférence Tricontinentale – rendue célèbre part le slogan « créons deux, trois, plusieurs Vietnam » - cette cristallisation d’une vaste convergence des luttes de libération nationale, contre les vestiges du colonialisme stricto sensu, ainsi que contre le néocolonialisme qui prenait sa place. Une coordination des luttes à l’échelle des trois continent que sont l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine qui à un moment n’était pas loin de mettre l’impérialisme en échec, et face à laquelle les Etats-Unis et leurs alliés ont dû mettre en œuvre des moyens criminels inouïs par leur ampleur et leur brutalité pour la briser. Un cinquantième anniversaire plutôt discret il faut dire : la date n’a pas vraiment fait les gros titres, même dans la presse communiste. Ce qui est regrettable, tant il est vrai que l’héritage théorique et révolutionnaire de la Tricontinentale est d’une actualité brûlante aujourd’hui.

La digression que je viens de faire sur la Tricontinentale n’est une digression qu’en apparence, elle a au contraire un lien très étroit avec le sujet du jour, tant pour ce qui concerne sa préhistoire que pour l’avenir pour lequel nous luttons. Car vous êtes toutes et tous venus ici pour débattre de ce qui se passe au Moyen Orient, et plus particulièrement en Turquie et au Kurdistan. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il s’agit d’un très vaste sujet. Aussi je ne chercherai pas à en faire une analyse exhaustive. La chose serait proprement impossible, surtout dans les limites du temps qui m’est imparti. Du reste je ne prétendrais certes pas être le mieux placé, ni le plus compétent pour le faire. Je ne tenterai pas non plus de trop entrer dans les détails pour ce qui concerne la situation en Turquie. Il serait quelque peu inconvenant qu’un Suisse vienne expliquer à des ressortissants turcs et kurdes ce qu’il en est de leur pays. Du reste, mon camarade Tuncay Yilmaz le fera bien mieux que ce que je pourrais faire.

Au lieu de cela, je vais tenter d’inscrire la tragédie que vit aujourd’hui le Proche Orient dans un contexte historique plus large, et pointant plus particulièrement du doigt le rôle des impérialismes occidentaux dans la situation, les implications qu’elle a sur l’Occident même, et pour finir formuler la position du Parti Suisse du Travail et quelques perspectives de lutte pour l’avenir.

La triste situation que vit le Moyen Orient depuis plusieurs années est bien connue, d’une certaine façon du moins. Car comme l’a dit Hegel « Ce qui est bien connu en général est, pour cette raison qu’il est bien connu, non connu. Dans le processus de la connaissance, le moyen le plus commun de se tromper, soi et les autres, est de présupposer quelque chose comme connu et de l’accepter comme tel ». Et le fait est que le commun des Occidentaux ont de ce qui se passe au Moyen Orient, comme pour bien d’autres choses d’ailleurs, une connaissance tronquée, qu’une propagande médiatique constante et judicieusement arrangée a fini par faire rentrer dans les têtes, répétition obsédante finissant par faire passer un mensonge pour la vérité.

Ainsi toutes et tous ont suivi à travers les médias mainstream ce que l’on a, de façon sans doute excessivement optimiste et quelque peu impropre, appelé le « Printemps arabe », cette révolte courageuse des peuples et surtout de la jeunesse, contre des dictatures atroces, corrompues et rétrogrades, révolte organisée spontanément à travers les réseaux sociaux occidentaux et au nom des valeurs occidentales : démocratie, liberté d’expression, etc. Ce schéma, outre qu’il a l’inconvénient de n’expliquer ni la nature ni l’origine des dites « dictatures », encore moins la genèse des « révolutions » et de leur contenu de classe et en termes de projet politique, a celui, bien plus grave d’être appliqué indifféremment à des situations par ailleurs très différentes : la Tunisie, pour laquelle il a été formulé à l’origine, en l’occurrence pas totalement à tort ; l’Egypte, où il convient à la rigueur ; le Bahreïn et le Yémen, plus ou moins occultés ; mais aussi pour les agressions impérialistes, directes ou par mercenaires interposés, contre la Lybie et la Syrie, qui n’ont rien à voir. Pourtant, ces très belles révolutions faites au nom de la « liberté » et de la « démocratie », ont débouché sur l’ascension de mouvances islamistes, mues par une haine féroce de l’Occident et de la modernité occidentale, contenue plus ou moins en Tunisie, écrasée dans le sang en Egypte par le rétablissement du statu quo ante, triomphante en Lybie, et menaçante en Syrie et dans une partie de l’Irak.

Evidemment, la brève synthèse du récit fait par les médias bourgeois de ces dernières années que je viens de faire n’explique rien. En outre, cette propagande médiatique pèche tellement par omissions, voire mensonges éhontés, qu’elle en perd toute crédibilité. Aussi les médias officiels ont-ils souvent dû changer leurs versions des faits, ou se contredire de façon flagrante, mais la cohérence est sans doute le dernier de leurs soucis. Première omission : les très bons rapports que l’Occident a entretenu naguère avec tous les « dictateurs » tant décriés aujourd’hui est assez facilement laissée de côté. Deuxième omission : le rôle de nos « alliés » islamistes de la péninsule arabique, ces sinistres despotismes wahhabites et féodaux, est relativement passé sous silence. Les luttes en cours au Royaume d’Arabie saoudite et la répression féroce du régime sont à peine évoqués, jamais analysés. Pourtant, il y aurait de quoi : quelle crédibilité pourraient bien avoir les meilleurs amis du roi d’Arabie saoudite pour parler de démocratie ? Ca, c’est pour les omissions. Admettons que les journalistes n’ont ni le temps, ni la possibilité de traiter de tout, occupés qu’ils sont à rendre compte de tant de choses sans aucun intérêt. Mais voyons ce qu’il en est des mensonges flagrants. Aujourd’hui, même la presse bourgeoise n’essaye plus de faire passer la Lybie, sans gouvernement légitime, en ruines et livrée aux bandes islamistes et aux seigneurs de guerre rivaux pour une réussite démocratique. Alors, la révolte de Benghazi, qu’il fallait sauver en réduisant le pays tout entier en cendres, était-elle réellement en quelque sens que ce soit une « révolution démocratique » ? Et la Syrie, on nous l’avait vendu comme la juste révolte démocratique d’un peuple épris de liberté contre l’ignoble « tyran » Bachar El-Assad, qui ne serait pas loin d’être la réincarnation d’Hitler. La preuve étant que le régime syrien aurait utilisé des armes chimiques contre son propre peuple (qui en réalité auraient été utilisées par des rebelles). Bien entendu, aucun président étatsunien, dont l’usage des armes de destruction massive à grande échelle contre des populations civiles est avérée ne peut en aucun cas passer lui pour un nouvel Hitler. Vous n’y pensez pas. Une exposition actuellement en cours sur la plaine de Plainpalais est consacrée à la « Révolution syrienne ». Alors, comment se fait-il que la guerre civile syrienne, sensée être celle entre un peuple révolté et son tyran, recoupe-t-elle largement une guerre entre l’armée gouvernementale syrienne, soutenue par une partie en tout cas de sa population contre cette organisation terroriste qu’est l’Etat Islamique, et que les zones sensément contrôlées par les rebelles « modérés » le sont en fait par le Front Al-Nosra, pour le dire clairement Al-Qaeda, dont l’ex ministre français des affaires étrangères Laurent Fabius a dit qu’ils font du « bon travail sur le terrain » ? Se pourrait-il que cette incarnation du mal qu’est Al Qaeda fasse en fait du « bon travail » ? Ou est-ce que plus simplement les hommes d’Etat bourgeois et les plumitifs à leur service mentent comme des arracheurs de dents ?

Mais en réalité, ce qui manque le plus à la narration superficielle des médias mainstream, c’est une perspective historique un tant soit peu sérieuse, qui permettrait de comprendre ce qui se passe aujourd’hui et pourquoi. J’en reviens donc à ma digression du début. Le drame que l’on observe aujourd’hui au Moyen Orient est largement le résultat de l’écrasement par l’impérialisme du mouvement de libération qui trouva son paroxysme lors de la Conférence Tricontinentale. Ecrasement qui fut aidé en l’occurrence par les propres insuffisances du nationalisme arabe progressiste et parfois socialisant. La mise à l’écart des communistes par ces régimes, leurs ambiguïtés fondamentales, leur rattachement en réalité plus grand à la bourgeoisie nationale qu’au prolétariat, les socialismes officiels largement tronqués, si ce n’est factices, n’ont pas permis de construire une économique réellement indépendante de l’impérialisme, encore moins d’édifier un socialisme véritable. Aussi, dès que la vague des grandes luttes anti-impérialistes d’après guerre fut brisée, la restauration intégrale du capitalisme s’y imposa assez facilement, les régimes nationalistes dégénérèrent en dictatures corrompues et sans projet autre que de se maintenir, et la plupart reprirent par eux-mêmes leur place de périphéries soumises de la chaînes de l’impérialisme. Le vide politique ainsi créé ouvrit largement la voie aux islamistes, qui avaient beau jeu de se présenter comme étant la seule opposition. Les pays qui restaient relativement indépendants étaient quant à eux une véritable épine dans le pieds de Washington, et qu’il fallait donc éradiquer par tous les moyens.
Car le Moyen Orient est une région absolument stratégique pour les Etats-Unis, tant pour ses réserves de pétrole, sans le contrôle desquelles la puissance des USA pourrait s’effondrer, que par sa position géographique. Depuis l’Empire romain au moins, la devise de l’impérialisme est divide ut regnes, diviser pour régner. C’est aussi celle des USA. Plutôt que de tenter d’instaurer un quelconque « ordre néocolonial », trop coûteux et en pratique hors de leur portée, les stratèges du Pentagone ont depuis longtemps misé sur une stratégie du chaos contrôlé, d’une division de la région en une multitude de micro-Etats, mis à genoux par des guerres civiles inter-religieuses et intercommunautaires, et par ce fait impuissants. Cette stratégie n’est pas nouvelle. Les colonisateurs britanniques l’avaient déjà mis en œuvre bien avant que les USA ne s’intéressent à la région. La division de la Syrie historique en plusieurs Etats poursuivait exactement ce but, de même que la création du Koweït, à l’origine une province irakienne, faite dans le seul but de limiter l’accès de l’Irak à la mer, et donc de garder le contrôle sur le golfe persique.

En ce sens, l’invasion de l’Irak ordonnée par George W. Bush, dont on pense souvent qu’elle est un échec, a entièrement atteint son but. D’un pays autrefois indépendant elle a fait une terre dévastée, déchirée par une guerre civile fratricide entre Chiites, Sunnites et Kurdes, au gouvernement illégitime, corrompu et parfaitement fantoche. Une véritable balkanisation du Moyen Orient en somme. Le terme de balkanisation est bien choisi d’ailleurs. Il décrit bien le démantèlement organisé par les agents de l’impérialisme de la naguère prospère Fédération socialiste de Yougoslavie, aujourd’hui réduite en une mosaïque absurde de micro Etats déchirés par des conflits ethnico-religieux créés de toutes pièces et dévastés par les bombes de l’OTAN. Le coût humain et social de cette politique est terrifiant. Il est révoltant d’entendre après cela les fondés de pouvoir des puissances impérialistes pérorer sur la « démocratie », la « liberté » et les « droits de l’homme ». Révoltant et parfaitement hypocrite. Ainsi que Lénine l’a dit « Le capital financier vise à l’hégémonie, et non à la liberté. La réaction politique sur toute la ligne est le propre de l’impérialisme ». Du reste, l’illustre homme d’Etat de l’antique Athènes, Périclès, l’avait dit bien avant : « L’empire est par nature tyrannique ». Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il parlait en connaissance de cause, ayant mis en œuvre la domination impériale athénienne sur les cités « alliées ».

La destruction de la Lybie de Kadhafi et de la Syrie d’El-Assad étaient planifiées par les stratèges de Washington depuis bien longtemps, et les événements de 2011 n’étaient tout au plus qu’un prétexte pour les mettre en œuvre. Du reste, ces document ne sont même pas tous confidentiels. Noam Chomsky, par exemple, a dénoncé toute cette opération, preuves à l’appui, mais sa voix est étouffée par les trompettes de la propagande de guerre atlantiste. Il y a eu des manifestations en Syrie en 2011, et de la répression, mais a vite suivi une guerre civile atroce, faisant des dizaines de milliers de morts, et des dizaines de milliers de réfugiés jetés sur les routes, dont même les médias bourgeois ont de la peine à cacher qu’elle oppose très largement l’armée gouvernementale aux djihadistes, principalement issus du Front Al-Nosra (Al-Qaeda donc) et de l’Etat islamique, djihadistes qui sont très nombreux à être des volontaires, ou des mercenaires, étrangers. Les rebelles « démocratiques » de l’Armée syrienne libre, dont l’Occident fait si grand cas, n’ont en fait qu’une existence minime sur le terrain. Sans nécessairement vouloir faire l’apologie du régime de Bachar El-Assad, on ne peut qu’imaginer l’avenir terrifiant qui attend la Syrie si ce régime laïc tombe et que les islamistes prennent sa place…
L’EI, comme Al-Nosra d’ailleurs, n’ont évidemment rien à voir avec une quelconque révolution démocratique, étant les pires ennemis de la démocratie. Ils ont peu à voir d’ailleurs avec la société syrienne en tant que telle. Par contre, ces groupes obscurantistes doivent tout à l’effort financier et idéologique considérable des pétromonarchies du golfe, ainsi que des USA directement. En effet, seule une amnésie sélective permet d’escamoter le fait que ce qui allait devenir Al-Qaeda fut constitué de toute pièce par les USA et l’Arabie saoudite, pour briser la République démocratique d’Afghanistan, et transformer ce pays d’Asie central en la région dévastée qu’il est de nos jours. Les djihadistes étaient alors nos alliés et la presse étatsunienne consacrait des articles élogieux à Oussama Ben Laden himself, dépeint en « combattant de la liberté » ! Quant, à l’EI, il est issu directement de la stratégie de division de l’Irak par l’occupant étatsunien, et d’une révolte sectaire sunnite contre le gouvernement central à dominante chiite. L’EI s’inscrit dans la droite ligne de la stratégie impérialiste de balkanisation de la région et reçut un soutien financier opportun en provenance des monarchies wahhabites, ainsi qu’une aide tout à fait confirmée de la Turquie.

Ce qui nous ramène au sujet principal du jour. Le public s’en souviendra peut-être. L’actuel président de Turquie, alors premier ministre, Recep Tayyip Erdogan était qualifié par la presse occidentale d’ « islamiste modéré », et son régime élogieusement décrit comme une synthèse réussie entre Islam, modernité et démocratie. Lors de ce que l’on a appelé « printemps arabe », des politiciens occidentaux ont même sérieusement proposé la Turquie comme modèle à suivre pour les pays nouvellement démocratiques !

Bon, depuis quelques temps, Erdogan est qualifié d’ « islamo-conservateur » et les éloges se sont fait plus que discrets. Pourtant, lui n’a pas changé, pas plus que son parti, l’AKP, Parti de la Justice et du Développement, qui a une bien singulière conception du développement, et une conception plus singulière encore de la justice. Simplement il devient impossible de nier des faits connus de tous. Il faut dire que l’AKP s’inscrit exactement dans la même mouvance que les Frères musulmans, et de tels partis islamistes du monde arabe. Les USA ont un temps sérieusement envisagé, et dans certains cas envisagent encore, de mettre de tels partis au pouvoir pour succéder à une dictature laïque discréditée. La Turquie d’Erdogan a largement mis en pratique cette idéologie islamiste, et ne montre que trop bien pourquoi les USA ont toutes les raisons d’apprécier ce modèle entièrement réactionnaire : néolibéralisme brutal (la propriété privée est sacrée selon les islamistes), doublé d’un obscurantisme sur toute la ligne, et d’une répression brutale de toute opposition à ce régime. Et parallèlement, insertion sans aucun scrupule particulier dans la chaîne de l’impérialisme. Les ressemblances avec un régime fasciste ne s’arrêtent pas à la théorie....

Je n’ai pas besoin de rappeler à quel point le régime d’Erdogan est un régime répressif, qui foule aux pieds toutes les normes démocratiques, même bourgeoises, et bafoue même de façon flagrante les normes les plus élémentaires de l’Etat de droit. Un régime dont le soutien à l’Etat islamique est avéré : contrebande de pétrole vendue par l’EI, soutien logistique, voire financier …Un régime qui conduit une guerre criminelle contre le peuple kurde, tant sur le territoire de la Turquie qu’en Syrie (sous couvert – hypocrite – d’opération contre l’EI). Tout ceci fait clairement d’Erdogan un criminel de guerre…mais étant un loyal serviteur de l’OTAN, la « communauté internationale » n’en n’a cure…On ne peut que souligner l’hypocrisie de cette soi-disant « communauté », qui prétend lutter contre l’EI, et ferme les yeux sur les crimes d’Erdogan…qui bombarde les forces kurdes du PYD, pourtant les seules, avec l’armée syrienne, à combattre réellement sur le terrain les djihadistes. C’est par contre en vain que l’on chercherait sur les champs de bataille les « rebelles démocrates » dont l’Occident fait tant de cas, ou alors il faut vraiment y aller au microscope…

Je vais passer maintenant aux positions du Parti du Travail à propos de la situation au Proche Orient.

Premièrement, notre Parti condamne sans réserve les crimes d’Erdogan et de son régime. Nous avions d’ailleurs appelé à une rupture des relations diplomatiques entre la Suisse et la Turquie…appel auquel le DFAE n’a bien sûr pas daigné répondre. Nos exprimons également une solidarité sans faille envers nos camarades turcs et kurdes, et un soutien total à leur lutte. Nous dénonçons également le rôle de la Suisse officielle, qui, sous couvert d’une neutralité de façade, a en fait bel et bien choisi son camp, et mène un jeu des plus troubles. Témoin en est la récente extradition vers l’Allemagne du réfugié politique kurde Mehmet Yesilçali, coupable uniquement d’être membre du Parti communisme marxiste-léniniste de Turquie (TKP M-L). Visiblement, la Confédération considère que la Turquie actuelle est une démocratie exemplaire, et qu’on peut sans problème répondre à ses desiderata, ou qu’être marxiste-léniniste est un crime. Le fait est que le mouvement de solidarité avec Mehmet Yesilçali n’a pas été à la hauteur de ce qu’il aurait dû être, et il y a beaucoup de zones d’ombre dans cette sombre affaire. Ce qui, bien sûr, pose aussi son lot de questions…

Je passerai maintenant aux solutions que nous envisageons pour l’avenir. En commençant par ce qu’il ne faut pas faire.

La première chose à dire est que la lutte pour la paix est toujours et nécessairement une lutte contre l’impérialisme. Une certaine gauche, parfois même qui se veut radicale, appelle à trouver des solutions en commun avec les puissances impérialistes à la guerre au Proche Orient, voire à une intervention impérialiste pour y mettre fin. De tels appels sont inadmissibles. Lutter pour la paix en commun avec l’impérialisme était une partie constitutive de la « nouvelle pensée » gorbatchévienne. On en a amplement vu les conséquences tragiques. L’impérialisme est le pire ennemi des peuples, et ses interventions n’ont jamais pour conséquence que d’aggraver la situation.

A ce sujet, nous avons des divergences importantes avec solidaritéS. Au niveau de l’analyse de la situation en Syrie, où ils voient eux la contradiction principale entre un « Peuple syrien en lutte pour la liberté et la démocratie » et « l’horrible tyrannie sanguinaire de Bachar El-Assad », n’accordant aux puissances impérialistes qu’un rôle accessoire. Une vision tellement proche de celle de la presse bourgeoise qu’il y aurait de quoi se poser des questions…Pour ce qui nous concerne, il est pourtant clair que la contradiction majeure passe entre les puissances impérialistes et les peuples de la région et qu’il s’agit avant tout d’une guerre impérialiste par l’intermédiaire des islamistes financés par les pétromonarchies du Golfe. Et aussi critiquable que puisse être le gouvernement syrien en place, on ne peut qu’imaginer l’horreur qui attendrait la Syrie s’il devait tomber et que les islamistes prenaient sa place (car c’est ce qui se passerait à tous les coups alors)… Nos camarades de solidaritéS préfèrent eux taper sur les « impérialismes » russe et chinois, posture pour le moins confortable quand on est un occidental. Il faut citer à ce propos un article signé Jean Batou dans le dernier numéro du journal solidaritéS, faisant état de quelques réticences chez les membres de solidaritéS à accorder un soutien total et entier au PYD, qui aurait le tort de ne pas « permettre l’expression d’autres forces politiques » dans les zones qu’il contrôle (et alors, exiger une démocratie libérale pluripartite en pleine guerre, sérieusement ?), et disant plus généralement que le tort des mouvements tiers-mondistes occidentaux des décennies passées aurait été…d’avoir été trop solidaire et pas assez critique des mouvements de libération nationale qu’ils soutenaient. On voit là typiquement la tare théorique d’un certain trotskisme, doublé d’une attitude d’occidental donneur de leçons, toujours pour la révolution en théorie, mais toujours contre en pratique, ou alors à des conditions tellement restrictives qu’on peut être sûr que jamais elles ne se réaliseront. Ce n’est en tout cas pas ainsi que nous concevons l’internationalisme.

De que internationalisme avons nous besoin ? J’en reviens donc, pour conclure, à ma digression du début, qui n’e n’était pas une. Pour faire face aux défis d’aujourd’hui, nous devons reprendre l’héritage théorique, organisationnel et révolutionnaire de la Tricontinentale. Car nous avons vitalement besoin d’une coordination des luttes, et pour cela d’une structure internationale. La IIIème Internationale n’était peut-être pas parfaite, reste qu’elle était absolument indispensable, et que sa dissolution a laissé un vide qui ne fut jamais comblé. C’est à cette tâche que nous devons aujourd’hui nous atteler. Plus que jamais nous avons besoin de clarification des positions face à l’impérialisme, de cohérence idéologique, mais aussi de luttes révolutionnaires, et d’une organisation pour les porter.

Je finirai mon discours en citant le Message à la Tricontinentale de Che Guevara : « En définitive, il faut tenir compte du fait que l’impérialisme est un système mondial, stade suprême du capitalisme, et qu’il faut le battre dans un grand affrontement mondial. Le but stratégique de cette lutte doit être la destruction de l’impérialisme. Le rôle qui nous revient à nous, exploités et sous-développés du monde, c’est d’éliminer les bases de subsistance de l’impérialisme : nos pays opprimés, d’où ils tirent des capitaux, des matières premières, des techniciens et des ouvriers à bon marché et où ils exportent de nouveaux capitaux (des instruments de domination) des armes et toutes sortes d’articles, nous soumettant à une dépendance absolue. »